Par EMMANUEL NNADOZIE
Le Président des USA, Barack Obama, a accueilli du 4 au 6 août, à Washington D.C, environ 50 chefs d'État et de gouvernement africains lors d'un sommet historique des leaders USA-Afrique. Le thème du sommet était « Investir dans la prochaine génération. » Ce sommet était le premier du genre entre un président des USA en poste et des dirigeants africains. Selon la Maison Blanche, il faisait suite au voyage du Président Obama en Afrique à l'été 2013 et visait à renforcer les liens entre les USA et l'une des régions les plus dynamiques et à la croissance la plus rapide du monde. Il ne fait pas de doute que ce sommet était un témoignage de l'importance croissante de l'Afrique dans la géopolitique mondiale. L’Afrique est en effet le « continent le plus jeune et à la croissance la plus rapide, avec une jeunesse pleine de rêves et d'ambition », a déclaré le Président Obama dans un discours aux délégués. Et comme l'influence du continent continue de croître, les USA ont l'intention de faire de l'Afrique « un bon partenaire, un partenaire égal et un partenaire sur le long terme » a-t-il ajouté.
L'Afrique offre d’immenses opportunités en termes d’abondantes ressources naturelles, de nouvelles technologies, d’investissements, d'accès aux marchés potentiels et de nouveaux types de consommateurs. On ne saurait donc trop s’étonner que des pays comme la Chine, l'Inde, la Malaisie, la Turquie et le Brésil aient augmenté leur présence et leurs investissements dans le continent. Bien que les USA aient été relativement lents à réagir à cette dynamique, l'organisation du sommet est un signe qu'ils ne peuvent plus rester à l'écart. Pour souligner ce point, le Président Obama a annoncé une série de mesures en train d’être prises par les USA pour renforcer leurs liens avec l'Afrique. Tout d'abord, le Président Obama a sollicité du Congrès des USA que celui-ci renouvelle et améliore la Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) qui rend plus facile l’exportation des produits des pays africains vers les USA. Il a également promis que le partenariat avec l'Afrique devait se poursuivre pour construire les infrastructures nécessaires pour une économie florissante. À cet égard, il a annoncé que l'Initiative Énergie en Afrique, qui a été rendue publique pour la première fois l'an dernier et qui vise à apporter l'électricité à 20 millions de foyers et d'entreprises africaines, sera doublée pour atteindre 60 millions de bénéficiaires pour un coût de 26 milliards de dollars. De même, les grandes compagnies américaines telles que Coca-Cola, Blackstone, GE et le groupe hôtelier Marriot, ont pris des engagements de plusieurs milliards de dollars pour étendre leurs activités en Afrique.
Priorités de l'Afrique
Mais aussi louables que ces mesures puissent apparaître, elles représentent pour l'essentiel ce que les USA veulent faire pour l'Afrique et non ce que l'Afrique attend des USA. Les suggestions suivantes émanant d'un éventail d’hommes politiques et d’hommes d’affaires, d’universitaires, de militants et de jeunes, tous africains, représentent des exigences clés du continent vis-à-vis des Américains. Après tout, comme le dit un proverbe africain, c’est celui qui porte la chaussure qui sait où elle fait le plus mal. L’on peut répartir les attentes de l’Afrique en six propositions susceptibles de permettre aux USA d’entretenir avec le continent un partenariat grâce auquel ce dernier pourra parvenir à une croissance économique forte et au développement probablement avant l’an 2063. On nourrit l’espoir que, dans 50 ans, l'Afrique sera devenue un continent politiquement uni, jouissant d’une croissance inclusive et du développement durable et où règneront la bonne gouvernance, le respect des droits humains, la justice et la primauté du droit ; bref, une Afrique de paix et de sécurité dont le développement est animé par ses propres habitants. C’est à bon escient que l’Union africaine a appelé cette projection « Agenda 2063 ».
À la lumière de ceci, la demande la plus urgente de l'Afrique serait l'aide des USA dans la lutte contre l'insécurité et la violence. La paix et la sécurité qui constituent les préalables à toute croissance et développement économique durables et inclusifs, sont encore un défi pour de nombreux pays africains. Les conflits armés, la piraterie maritime, le terrorisme, les réseaux criminels transnationaux, les différends territoriaux, les vols de bétail et le crime organisé sont parmi les défis de sécurité auxquels font face encore de nombreux pays africains. Le terrorisme transfrontalier est récemment apparu comme une menace sérieuse pour le bien-être du continent. Avec l’appui des services de renseignement et l’assistance militaire des USA, des pays africains comme la Somalie, le Kenya, l'Ouganda, le Nigeria, le Mali, et la Libye seront mieux placés pour vaincre les actes terroristes perpétrés par des groupes islamistes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine, al-Shabaab, et Boko Haram.
Un autre domaine de collaboration possible est celui du renforcement de la démocratie, des droits humains et de la bonne gouvernance. Bien que les pays africains aient fait des progrès en matière de gouvernance politique et économique et de droits humains, il y a encore des défis à relever là-dessus. Dans ces domaines, le partenariat USA-Afrique consisterait à déconcentrer les pouvoirs monopolisés par de puissants cadres et d’autonomiser les gens ordinaires. Les USA peuvent également envisager de relancer l'Architecture de la gouvernance en Afrique (AGA), mise en place par les gouvernements africains pour développer des réponses appropriées et renforcer les capacités en vue de faire face aux défis du continent en matière de gouvernance.
Renforcement des capacités institutionnelles
Troisièmement, les USA peuvent intervenir pour renforcer les capacités institutionnelles dont la faiblesse constitue un obstacle majeur à la croissance économique à long terme, et par voie de conséquence, un obstacle au développement économique durable de l’Afrique. Par exemple, l’Initiative du renforcement des capacités du NEPADdont l'objectif est de renforcer les capacités des institutions continentales en collaboration avec la Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF), la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) et la Banque africaine de développement (BAD) pourrait mettre à contribution l'appui financier et technique des USA pour pouvoir se concentrer sur les institutions de tous types et à tous les niveaux, qui renforcent les capacités des pays africains, afin que ces institutions puissent mettre en œuvre de bonnes politiques dans les secteurs macroéconomiques et sociaux. L'ACBF, la CEA et la BAD pourraient être les institutions principales pour conduire un tel partenariat à l'échelle continentale. L'Afrique pourrait aussi utiliser l'aide des USA dans le domaine du renforcement du capital humain qui constitue le moteur de la croissance économique, du développement et de la transformation économiques durables. Aujourd'hui, la priorité urgente de l'Afrique est de réduire la pauvreté à travers un développement économique fort et durable qui profite aux personnes pauvres et offre des services sociaux. Il est à la fois essentiel et urgent de réussir le renforcement du capital humain en vue de l’agenda du développement de l'Afrique et l'ACBF qui fait déjà des contributions positives dans ce domaine peut, dans l’avenir, être appuyée par les USA pour agir encore plus.
L'expansion du commerce et l'élargissement de la base des exportations de l'Afrique offrent d'énormes potentiels de croissance économique pour les pays africains et leurs partenaires étrangers. Cependant, la majorité des pays n'a pas pleinement bénéficié du commerce avec les USA. Ceci est essentiellement dû au fait que les USA commercent plus avec les pays riches en minerais tels que l'Angola, le Nigeria et l'Afrique du Sud. En outre, les exportations africaines sont moins diversifiées et très dépendantes des matières premières et des produits transformés simples. Pour relever ce défi, la BAD a aidé à établir le Fonds africain du commerce (AfTra) afin de fournir des facilités de financement et de faire avancer en Afrique le commerce et les activités qui lui sont liées. AfTra a été mis en place en réponse à la nécessité de l'Afrique de réaliser une plus grande intégration dans les systèmes commerciaux régionaux et mondiaux. Le partenariat USA-Afrique devrait viser à développer le commerce en investissant dans l’industrie de fabrication, les services, le tourisme, le textile et l'agriculture. Ceci devrait non seulement élargir la base des exportations des bénéficiaires africains, mais aussi aider à développer leur secteur industriel et favoriser la création d'emplois. La revue et l'extension de l'AGOA par le Congrès des USA seront, sans aucun doute, hautement bénéfiques pour l'Afrique.
Faciliter l'intégration régionale
Il était réconfortant d'entendre le Président Obama lors du sommet exprimer le désir des USA d’aider dans ce domaine. « Mon vœu c’est de voir les Africains acheter davantage de produits américains et les Américains acheter davantage de produits africains » a-t-il déclaré à ses invités. De toute évidence, il existe parmi les pays africains un potentiel pour l'expansion des exportations qui peut accroître la performance des exportations régionales, avec l’ouverture vers les USA comme marché potentiel. Mais le partenariat USA-Afrique devrait également viser à améliorer la facilitation du commerce, le renforcement des capacités et la promotion de l'intégration régionale.
Enfin, l’afflux des investissements des USA vers l’Afrique reste limité par rapport à celui de la Chine et de l'Union européenne. Les USA ont besoin de faire des investissements stratégiques dans les infrastructures qui sont essentielles pour un développement économique réel et durable du continent. En outre, le partenariat américain pourrait aider à réduire le coût de faire des affaires en Afrique, car ce coût est encore relativement élevé par rapport à d'autres régions. L'implication des USA dans la dynamique du Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA) - la stratégie continentale pour la modernisation des infrastructures aux niveaux régional et continental - aiderait grandement à transformer l'insuffisance des infrastructures de l'Afrique. Le PIDA met l’accent sur les transports, l'énergie, les eaux transfrontières et les infrastructures des technologies de l'information et de la communication qui sont nécessaires pour réussir l’intégration du continent.
En conclusion, le ralentissement de l'économie mondiale, y compris aux USA, a des implications sur la façon dont les USA devraient considérer l'Afrique. Une des retombées de la tendance pourrait être une coopération Afrique-USA qui est bénéfique à la fois au monde en général et aux USA en particulier, à moyen et à long terme. L’Afrique estime que les USA devraient considérer son développement économique comme un outil important dans sa quête pour relancer sa propre croissance économique et créer des emplois. Les pays africains estiment donc que l'Afrique et les USA devraient considérer l'Afrique comme une partie de la solution à la crise économique mondiale et investir dans le continent en vue d’un bénéfice mutuel. Le monde a besoin d'une nouvelle région pour impulser la demande des consommateurs, d’un nouveau marché et d’une nouvelle dynamo. L’Afrique peut jouer ce rôle.
Prof Emmanuel Nnadozie est le Secrétaire exécutif de la Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF) à Harare, Zimbabwe